La Diplomatie Royale en Afrique : Vers un Nouveau Cycle Stratégique Durable

Abdennabi Aboulaarab

Acteur politique, professeur universitaire, chroniqueur …

Le printemps arabe est aussi passé par là ! Depuis la chute du régime Kadafi, du régime Mobarak, et plus récemment avec les crises économique et sociale causée par la chute des prix du baril de pétrole qu’ont subi de plein fouet certains des plus redoutables adversaires du Maroc sur la scène africaine, surtout l’Algérie, le Maroc a vu s’entrouvrir devant lui un couloir vers l’Afrique, que son retour éminent comme membre de l’Union Africaine sera un couronnement. En effet, il s’est produit quelque chose dans la machine de la diplomatie marocaine : libérée psychologiquement, elle a pris plus de confiance sur le continent et semble décidée à profiter de ce trou d’air afin de transformer durablement la donne sur le terrain à son avantage.

Qu’y-a-t-il d’inédit dans ce nouveau cycle diplomatique ? Cet effort diplomatique pourrait-il faire la différence cette fois ? Et à quels objectifs s’emploient la nouvelle diplomatie marocaine ?

C’est à un mouvement global et de fond vers l’Afrique auquel on assiste, dans lequel l’ensemble des leviers possibles sont mobilisés, historique, politique, économique, diplomatique, religieux et même militaire. Et c’est même toute la nation marocaine qui porte avec tendresse, fierté et nostalgie des grandeurs historiques du Maroc chacune des visites du Souverain Mohamed VI dans les pays africains.

Depuis plusieurs années, on assiste à une montée en puissance régulière et déterminée de la destination Afrique dans les orientations de la diplomatie marocaine. Les visites historiques du Roi Mohamed VI au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Mali, en Guinée, et plus récemment au Rwanda, en Tanzanie, au Madagascar et au Nigéria ont été édifiantes par leur ampleur et symbolique.

C’est presque à chaque fois le même rituel. Le Roi séjourne plusieurs semaines et prend le temps de mener par lui-même la valse des événements, tentant de nouer des liens forts, non seulement officiels, mais également informels, civils et populaires. Il prend ainsi le temps de vivre parmi les gens, de faire la prière, de visiter le pays, de créer de la proximité et de raviver les liens ancestraux, surtout religieux, qui lie le Maroc à sa base arrière africaine. Derrière ce succès, une préparation minutieuse précède chaque visite et un point d’honneur est porté sur trois volets.

Le premier est celui de la ferveur officielle, mais surtout populaire qui accompagne chaque visite. Les images exceptionnelles de la visite royale en Guinée sont dans ce sens édifiantes, où le tout Conakry était à l’accueil du Roi Mohamed VI. Le but est de confirmer que le Roi est bien chez lui en Afrique, de mettre au jour la force des liens qui lie un pays comme le Maroc et l’Afrique, avec laquelle il partage une histoire ancestrale, riche de plusieurs siècles d’échanges, de voyages croisés, de commerce mutuel, de spiritualité unifiante… ayant forgé un sentiment de destin commun.

Le deuxième est celui des retombées économiques qui accompagnent ces visites. C’est à chaque fois à une pluie d’accords signés dans tous les domaines que l’on assiste, devant l’œil bienveillante du Roi et du Dirigeant Hôte. L’objectif est clair : baliser le chemin pour la machine économique. Aujourd’hui, il se dégage en faveur du Maroc un avantage concurrentiel singulier sur le continent africain, basé sur ses liens historiques forts et sur son expérience culturelle et économique de ce continent. Ce que le Maroc compte bien transformer en retombées réelles pour ses entreprises publiques et privées. C’est ainsi une perspective stratégique considérable qui s’ouvre pour le Maroc face à l’assombrissement des perspectives de développement et de croissance que connaissent les marchés développés.

Le troisième est le renforcement des liens politiques et diplomatiques, avec comme point d’orgue, l’irréductible dossier du Sahara marocain. C’est presque même une condition d’entrée de jeu : sans exiger un alignement sur le principe de la marocanité du Sahara, un accordne serait-ce que sur une ligne minimale de neutralité, est nécessaire pour jeter les bases d’un partenariat solide et pérenne. Le cas du Nigéria est édifiant dans ce sens ; l’ouverturepositive des positions diplomatiques récentes de ce pays envers le Maroc ont permis de lancer de gigantesques projets d’investissement structurants pour le continent. Mais personne n’est dupe, même lorsque la question du Sahara n’est pas directement mise sur la table de négociation, chacun sait qu’elle n’est jamais bien loin : c’est elle la pierre angulaire de l’effort diplomatique de tout le pays, et c’est à travers elle que seront mesuré le succès de cette nouvelle ambition Africaine.

Nouveau Leadership Africain

Ce retour diplomatique en force a indéniablement eu des résultats remarquables, pour le Maroc et pour l’Afrique. D’abord, il a mis au jour un nouveau leadership maroco-africain, basé sur la recherche de l’intérêt mutuel et les convergences créatrices de valeur autour des dossiers et des intérêts commun de l’Afrique. Plus unie aujourd’hui qu’avant, cette nouvelle Afrique peut désormais prendre en main son propre destin, affranchie de toute tutelle étrangère.

A ce titre, l’apport de la diplomatie marocaine consiste en cette expérience desdeux rives Nord – Sud. Riche d’une tradition diplomatique millénaire et d’un réseau d’influence d’une qualité exceptionnelle, la monarchie jouit d’une crédibilité et d’une expertise de premier plan en négociation internationale qu’elle met en faveur de la défense de l’Afrique. Le discours historique du Roi aux Nations Unies en 2015 est exemplaire dans ce sens. Le souverain y déclare que « Fidèle à son approche solidaire, le Maroc ne ménagera aucun effort pour faire entendre la voix et les préoccupations du continent africain », et dans lequel il lance un appel pour que « l’Afrique soit au cœur de la coopération internationale pour le développement afin de l’aider à s’affranchir de son passé colonial et à libérer ses énergies »

Ensuite, les retombées de cette offensive diplomatique dégagent un impact positif sur la croissance inclusive des pays africains partenaires. Le Maroc est le deuxième pays africain investisseur en Afrique, et a consolidé plusieurs acquis en développement économique, agricole, industriel, social, et autre, qu’il peut aujourd’hui faire dupliquer en Afrique. Ses programmes INDH, Plan Maroc Vert, Energies Renouvelables, Emergence Industrielle … sont aujourd’hui un exemple à suivre pour beaucoup de pays africains.

Quelles limites pour cette nouvelle phase de la diplomatie marocaine ?

A la fin de ce tour d’horizon de cette nouvelle ère de la diplomatie marocaine en Afrique, qui semble avoir le vent en poupe, il est légitime de poser la question de ses limites. Est-ce que cette diplomatie a donc livré toutes ses promesses ? A-t-elle pu engager son plein potentiel, économiquement, politiquement et géo-stratégiquement ?

En effet, malgré les succès exceptionnels de ce nouveau cycle diplomatique, qui sort de sa zone de confort, et s’aventure sur de nouvelles alliances traditionnellement acquises au front adverse du Maroc, on peut noter que cette action manque encore de mobiliser quelques leviers de fond qui pourront la mettre sur orbite.

La principale dont nous souhaitons parler ici est celle de la faiblesse d’une diplomatie parallèle, menée par les acteurs privés. On est réellement face à une embuche de taille,celle de l’absence d’une diplomatie des entreprises et des hommes d’affaires marocains.

Plus récemment, le mouvement diplomatique global auquel on assiste entraine dans son sillage une massive présence des hommes d’affaires. Parions que ce soit un changement de fond auquel on assiste, qui donnera une impulsion majeure aux leviers importants que représente cette diplomatie des affaires, sans laquelle il sera impossible de changer durablement et profondément l’équilibre géostratégique sur ce continent en faveur du Maroc. 

 

 

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